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La qualité de vie, une variable plus importante que le nombre d’habitants

La population mondiale a franchi le seuil des 8 milliards d’êtres humains en novembre 2022. Que pensent les citoyens ordinaires de ce record, et comment cela les affecte‑t‑il au niveau individuel ? Quelle influence a‑t‑il sur leur communauté et leur pays ?

Des entretiens ont été menés avec plusieurs personnes originaires des États arabes, une région qui affiche un taux de fécondité supérieur à la moyenne (2,8 naissances par femme, alors que la moyenne mondiale se situe à 2,3) dans un contexte d’inquiétudes marqué par le manque d’eau, qui accélère la désertification (Abumoghli et Goncalves, 2019), et multiplie les crises humanitaires. Ces tendances ont‑elles modifié la perception des individus au sujet de la croissance démographique ou influencé leurs décisions en matière de procréation ?

Rama (prénom d’emprunt) affirme que oui. « Je ne veux pas donner naissance à un enfant dans une période pareille », témoigne cette Syrienne âgée de 30 ans. « Il y a trop de choses qui m’inquiètent aujourd’hui : le manque de protection, l’insécurité physique, l’insécurité économique... »

Elle estime que la Syrie compte trop d’habitants compte tenu du niveau de services disponible. Le conflit a en effet affaibli le système de protection sociale. Selon elle, de nombreux parents en difficulté font des enfants sans avoir les moyens de s’en occuper. « Tout le monde a le droit d’avoir un enfant, mais peut‑être serait‑il préférable d’attendre que les conditions soient propices. » Rama espère adopter un jour l’un des nombreux enfants orphelins ou abandonnés qu’abrite le pays.

Said (prénom d’emprunt), 45 ans, explique que la population d’Oman peut sembler modeste comparée à celle d’autres pays de la région, mais qu’elle augmente vite, et qu’il semblerait y avoir une corrélation entre familles nombreuses et manque de moyens. À ses yeux, cela n’est pas un problème tant que l’économie du pays reste suffisamment forte pour fournir des emplois, en particulier aux travailleurs non qualifiés. « Je m’inquiète de ce qui se passera si un jour l’économie connaît une récession et que les gens perdent leur emploi », admet‑il. « Et je redoute que le chômage d’un grand nombre de jeunes compromette la stabilité du pays. »

L’un des grands enseignements de cette étude est que le plus souvent, les craintes liées à la taille de la population portent surtout sur la possibilité d’assurer à tous une bonne qualité de vie.

Khaled, 51 ans, considère que dans son pays, le Yémen, le problème tient à une croissance démographique plus rapide que la « croissance du développement ». Il précise que la population en âge de travailler est nombreuse et en augmentation rapide, et que le pays pourrait selon lui accélérer sa croissance économique si les jeunes étaient mieux instruits, en bonne santé, et en mesure de trouver des emplois convenables. Il ajoute que les femmes, en particulier, doivent participer davantage au développement du pays, « pour que notre population soit un atout ».

Image publiée avec l’aimable autorisation de Idil Üner

Les jeunes tracent de nouvelles perspectives

Aujourd’hui, environ une personne sur six à travers le monde est âgée de 15 à 24 ans, et cette tranche d’âge croît rapidement, en particulier en Afrique subsaharienne. Certains décideurs publics s’alarment de cette tendance, dans laquelle ils ne voient qu’un vecteur d’instabilité politique et de violence. Des stéréotypes néfastes persistants font des jeunes un problème à résoudre et une menace à circonscrire, selon Les absents de la paix, une étude indépendante des Nations Unies sur les jeunes, la paix et la sécurité (Simpson, 2018).

Pourtant, loin d’être un problème, les jeunes du monde entier constituent de plus en plus souvent un élément de la solution. D’après l’étude des Nations Unies, les jeunes bousculent le statu quo dans de nombreux secteurs grâce à leur inventivité et à leurs « prises de position assumées ». Leur créativité transforme le monde de l’art et de la culture. Certains mouvements de jeunes défendent la diversité et les droits fondamentaux. Leur militantisme enthousiaste offre un antidote au désespoir.

« Les combats des jeunes du monde entier suscitent aujourd’hui un élan sans précédent » témoigne Idil Üner qui, du haut de ses 24 ans, gère une initiative phare de l’Envoyé du Secrétaire général des Nations Unies pour la jeunesse destinée à rechercher des jeunes leaders exceptionnels dans le cadre des ODD. Partout, les jeunes font bouger les choses, même s’il est rare qu’ils participent directement aux prises de décisions politiques traditionnelles, explique‑t‑elle.

Près de la moitié de la population mondiale a moins de 30 ans, et pourtant, l’âge moyen des dirigeants politiques s’établit à 62 ans (Envoyée du Secrétaire général des Nations Unies pour la jeunesse, 2022). Dans certains pays, l’âge minimal pour se porter candidat aux élections est de 40 ans. La plupart des lois sont donc promulguées par des gens qui n’ont absolument pas le même point de vue que les jeunes ayant grandi dans ce monde en constante évolution, marqué par les crises, façonné par Internet et abritant 8 milliards d’êtres humains.

« Pour les générations qui nous ont précédés, le pouvoir était une prérogative exclusive. Une notion hiérarchique, bureaucratique, formelle et institutionnelle », précise Üner. « Mais pour la plupart des jeunes d’aujourd’hui, le pouvoir est associé à la transparence, et non au secret. Il doit être fluide, et non pas hiérarchique. Le pouvoir émane de la mobilisation... À bien des égards, les jeunes préparent déjà leur propre avenir en réinventant l’organisation de nos systèmes et en revendiquant un véritable pouvoir, qu’ils partagent au sein de ces systèmes. »

Cette position est notamment partagée par Gibson Kawago, entrepreneur de 24 ans, animateur radio et mentor auprès de la jeunesse tanzanienne : « Chaque jeune doit identifier un problème rencontré dans sa communauté et trouver un moyen de le résoudre. Pour nous, c’est le meilleur moyen d’imaginer des solutions pour l’avenir. »

À 14 ans, il a créé une batterie solaire pour aider les habitants de son village, non raccordé au réseau électrique. Plus tard, avec l’aide d’une pépinière d’entreprises, il a créé sa propre société, WAGA TANZANIA, qui recycle les batteries lithium-ion et fabrique des produits à piles durables et abordables. Depuis 2019, WAGA a recyclé plus de 3 100 batteries et créé 32 emplois, tout en protégeant l’environnement de matières dangereuses. Le dynamisme de Kawago et ses messages encourageants attirent par ailleurs quelque 12 millions d’auditeurs radio.

Paul Ndhlovu est un autre jeune leader de 24 ans, qui jouit au Zimbabwe d’une influence démesurée. Au sein de Zvandiri (« Comme je suis » en langue locale), une organisation de pairs qui soutient les jeunes séropositifs, il a réalisé une centaine d’émissions de radio, touchant quelque 180 000 personnes sur une période de 10 mois. Ndhlovu se félicite des avancées politiques inspirées par son émission et par les activités de plaidoyer de l’organisation. Il insiste sur le fait que « tous ces progrès sont le fruit d’un effort collectif ».

Ces différents témoignages donnent une idée de tout ce que les jeunes peuvent accomplir lorsque leur talent est reconnu et qu’ils prennent part aux processus décisionnels. « Au bout du compte, c’est avant tout sur nous que se répercuteront les choix que nous faisons ou que nous ne faisons pas aujourd’hui », souligne Üner.

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En utilisant des contraceptifs en cachette, les femmes remettent en cause le pouvoir de décision des hommes en matière de procréation

Durant ses tournées, Amsalu, soignante de proximité dans une région rurale d’Éthiopie, fait du porte-à-porte et distribue des contraceptifs à des femmes qui, autrement, n’y auraient pas accès. Dans la plupart des cas, les maris de ses patientes connaissent les méthodes de contraception, mais certains n’en ont jamais entendu parler.

« Ces femmes sont déjà mères de trois ou quatre enfants », témoigne Amsalu qui, à 36 ans, exerce cette activité depuis 14 ans. « Elles cachent leur contraception, parce que leur mari veut d’autres enfants, alors qu’elles en ont assez ou qu’elles veulent juste faire une pause. »

On estime que 7 % des femmes mariées utilisant un moyen de contraception en Éthiopie le font en cachette (PMA Éthiopie, n. d.). Cette pratique existe par ailleurs dans de nombreux pays, et selon de récentes estimations établies pour l’Afrique subsaharienne, elle concernerait entre 5 % des utilisatrices à Kano, Nigéria, et plus de 16 % au Burkina Faso (Sarnak et al., 2022).

En règle générale, les femmes y ont recours en réaction à une opposition de la part de leur mari. Pour certains hommes, une femme qui utilise un contraceptif a forcément une liaison. D’autres désapprouvent la contraception, car ils la croient néfaste pour la santé de leur femme. Certains affirment qu’elle est contraire à leurs convictions religieuses. D’autres encore veulent que leur épouse ait d’autres enfants. Dans de nombreux pays, les femmes ont généralement moins de pouvoir concernant les décisions relatives à la santé (Smith et al., 2022). Par conséquent, lorsqu’un homme interdit toute contraception à son épouse, celle-ni n’a d’autres choix que de s’en passer ou d’y avoir recours en cachette.

Amsalu explique que les femmes de sa région préfèrent les contraceptifs injectables, qui durent trois mois et ne sont pas visibles. Dans la capitale de l’Éthiopie, en revanche, les femmes qui utilisent un moyen de contraception à l’insu de leur mari privilégient les implants et les dispositifs intra-utérins, selon Gelila, prestataire de services de planification familiale. « Parfois, elles nous demandent de dissimuler la cicatrice de l’implant pour que leur mari ne s’aperçoive de rien », confie‑t‑elle.

« Les femmes cachent leur moyen de contraception parce qu’elles ont peur », ajoute‑t‑elle. En effet, elles sont dépendantes de leur mari et redoutent ce qui pourrait leur arriver si leur secret était découvert : leur époux pourrait par exemple se montrer violent ou demander le divorce. « Un jour, un homme a amené sa femme au dispensaire et exigé que je retire son implant sur-le-champ », se rappelle Gelila.

Malgré les risques encourus, certaines femmes se tournent vers cette solution pour échapper à la « coercition reproductive », selon Shannon Wood, chercheuse de l’université Johns Hopkins qui étudie les déterminants sociaux de la santé des femmes, la violence basée sur le genre et les problèmes de santé sexuelle et reproductive. On estime qu’entre 15 et 49 ans, une Éthiopienne sur cinq a déjà été confrontée à ce type de coercition, que son mari lui ait interdit de recourir à la planification familiale, qu’il lui ait confisqué ses contraceptifs, qu’il ait menacé de la quitter si elle ne tombait pas enceinte ou qu’il l’ait battue pour ne pas avoir accepté de tomber enceinte (Dozier et al., 2022).

Si les femmes continuent d’utiliser des contraceptifs en cachette dans la capitale et les régions rurales du pays, Gelila et Amsalu affirment que cette pratique est aujourd’hui moins répandue qu’il y a dix ou vingt ans. « De nos jours, les hommes sont plus ouverts et compréhensifs », précise Amsalu.

« Idéalement, un couple devrait pouvoir discuter du recours à la contraception », ajoute Gelila. « Mais si cela ne fonctionne pas, une femme peut tout à fait prendre les choses en main en se passant de l’accord de son mari. Faire le nécessaire pour retarder ou espacer ses grossesses est un moyen de gagner en autonomie. »

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La planification familiale comme stratégie de survie face au changement climatique

Pour certaines femmes, la planification familiale peut être une question de vie ou de mort. Faute d’argent pour nourrir des bouches supplémentaires, avoir une famille moins nombreuse peut être pour les femmes un moyen de s’en sortir. C’est le cas de Pela Judith, qui vit dans le Grand Sud de Madagascar, une région qui connaît actuellement sa pire sécheresse depuis 40 ans (Kouame, 2022).

« Avant, je cultivais du manioc et quelques céréales », se remémore‑t‑elle. « Les enfants allaient à l’école pendant que nous travaillions aux champs. »

C’est un mode de vie dont les jeunes de 25 ans se souviennent à peine. « Les sécheresses ont chamboulé bien des choses. Aujourd’hui, tout est devenu cher, la nourriture comme l’eau. Nous avons dû interrompre la scolarité de deux de nos enfants. »

La sécheresse a provoqué de graves pénuries alimentaires touchant plus d’un million de personnes. Pour Pela Judith, elle a coïncidé avec une autre tragédie : son mari est tombé malade, et il est aujourd’hui partiellement paralysé. La famille a vendu ses terres pour pouvoir le soigner et a déménagé en ville pour trouver du travail. Pela Judith pourvoit désormais seule aux besoins de sa famille. Elle gagne sa vie en faisant des lessives et des corvées d’eau. Pour elle, la contraception s’impose. « Je n’arrive même pas à nourrir mes quatre enfants, alors j’ai renoncé à en avoir d’autres. »

Pela Judith n’est pas la seule dans ce cas. Comme elle, de nombreuses femmes décident de limiter la taille de leur famille en raison des catastrophes climatiques (Staveteig et al., 2018). Néanmoins, ce choix n’est pas universel. Selon certaines études, si des femmes du Bangladesh ou du Mozambique préfèrent ne pas avoir d’enfants dont elles ne pourraient assurer la survie, d’autres souhaitent au contraire agrandir la famille dans l’espoir d’avoir au moins un fils, censé améliorer la sécurité familiale (IPAS, n. d.).

Pour Volotanae, 43 ans, il n’a jamais été question de dépendre d’un homme. Elle travaille comme marchande ambulante dans la ville malgache de Majunga, à plus de 1 500 kilomètres de ses quatre enfants qui vivent chez ses parents. Abandonnée par le père de ses enfants, Volotanae assume seule la responsabilité de gagner de l’argent, qu’elle envoie à sa famille afin de nourrir ses enfants.

À Majunga, elle avait entamé une relation avec un homme qui s’était avéré violent. « Il me battait sans arrêt. À cause de ça, j’ai perdu l’audition du côté gauche, je n’entends plus non plus très bien de l’oreille droite, et je ne vois plus très bien de l’œil gauche. » Avec de telles blessures, elle peine à joindre les deux bouts. Pour elle, la contraception est essentielle, pour son propre avenir comme pour celui de ses enfants.

« Avec les sécheresses, comment pourrais-je subvenir aux besoins d’un enfant supplémentaire ? J’ai déjà beaucoup de mal à nourrir mes quatre enfants. Depuis les sécheresses, je redoute vraiment de retomber enceinte. Heureusement qu’il existe encore des services de planification familiale là où je vis. »

Image publiée avec l’aimable autorisation de Irina Fusu

Opération séduction auprès des « repatriés » des Balkans

Lorsque des personnes reviennent dans leur pays d’origine après avoir émigré, on les appelle des « repatriés », ou « repats » par opposition aux « expats ». Certaines régions d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, pâtissant d’une faible natalité et d’une émigration importante (Armitage, 2019), tentent de convaincre les personnes émigrées de rentrer dans leur pays natal, dans l’espoir d’enrayer le déclin de leur population et de renforcer leur résilience démographique.

Les émigrés originaires des Balkans, notamment, forment une diaspora très importante. Selon les estimations, 53 % des personnes nées en Bosnie-Herzégovine, 45 % des individus nés en Albanie et 12 % des personnes natives de Serbie vivent à l’étranger (Migration Data Portal, 2021) : il n’est donc guère surprenant que les gouvernements cherchent à les courtiser afin d’encourager leur retour. Le programme « I Choose Croatia » (« Je choisis la Croatie »), par exemple, propose jusqu’à 26 000 euros de subventions aux ressortissants croates qui rentrent au pays (Hina, 2022). La Serbie, pour sa part, s’appuie sur un mécanisme complexe associant des réductions d’impôts, des aides à la création d’entreprise et des parcs technologiques attrayants, tandis qu’en République de Moldova, le programme PARE 1+1 investit à parts égales avec le secteur privé dans les entreprises créées par les « repatriés » (ODA, 2013).

« J’ai bénéficié d’aides de la part de trois programmes différents en Moldova », rapporte Irina Fusu, chirurgienne dentiste rentrée au pays après cinq années passées en Russie. « Je ne parle pas seulement d’aides monétaires. En tant que médecin, je n’avais aucune connaissance en matière de gestion d’entreprise, et j’ai pu suivre des cours proposés par le gouvernement ». L’établissement dans lequel elle exerce, la clinique dentaire Da Vinci, a gagné le prix de la « meilleure clinique dentaire » en 2020.

Les gouvernements nationaux ne sont pas les seuls à favoriser le retour de leur population. En Serbie, l’organisation non gouvernementale « Returning Point » (« Point de retour ») a pour mission d’instaurer un climat plus accueillant pour les « repatriés ». « Lorsque j’ai décidé de retourner en Serbie, j’ai contacté Returning Point », témoigne Ivana Zuba, contrôleuse financière expatriée pendant 20 ans en Europe de l’Ouest. « J’en ai profité pour évaluer la situation dans le pays, et j’ai aujourd’hui une bien meilleure qualité de vie ». Désormais, elle aide l’organisation à accompagner d’autres Serbes revenus depuis peu.

Jelena Perić, infirmière pédiatrique, a également regagné la Serbie après avoir quitté Munich où elle travaillait depuis 2011. Elle a pu compter sur le soutien d’une autre organisation, à savoir l’agence allemande de coopération internationale (GIZ). « Je voulais aider les familles à s’informer sur l’allaitement, un sujet trop méconnu en Serbie », explique‑t‑elle.

Nombre de pays tentent également de trouver des solutions à long terme. Lorsqu’une personne vit dans des conditions décentes, occupe un emploi sûr et prometteur, peut offrir une bonne éducation à ses enfants, et bénéficie de soins de santé corrects et d’un environnement favorable, elle a moins de raisons d’aller chercher de tels avantages ailleurs.

Senad Santic dirige la société informatique ZenDev à Mostar, en Bosnie-Herzégovine. Il affirme qu’un renforcement du secteur privé contribue également à retenir les jeunes talents, et il est convaincu que les emplois créés par les entreprises comme la sienne participent à éviter que les jeunes quittent le pays.

Selon lui, « l’objectif, c’est d’instaurer dans le pays les conditions nécessaires pour que les gens ne soient pas tentés de partir ».

Image publiée avec l’aimable autorisation de Dra. Park

Le mariage et la fécondité au plus bas à cause des attentes quant à la place des femmes dans les sphères professionnelle et domestique

« Je suis disposée à me marier si je rencontre quelqu’un qui a la même vision du mariage que moi et qui me respecte », prévient Yeon Soo, 35 ans, médecin à Gyeonggi-do, en République de Corée. « Mais je ne ressens pas le besoin de le faire si personne ne correspond à mes critères ».

Et elle n’est pas la seule à penser ainsi. Aujourd’hui, les Coréens se marient de moins en moins. Une enquête réalisée auprès des personnes de 30 ans par l’Association coréenne de la population, de la santé et du bien-être révèle que 30 % des femmes (et 18 % des hommes) n’envisagent pas de se marier. Le taux de nuptialité a diminué d’environ deux tiers par rapport aux années 1980 (Ki Nam Park, communication personnelle). En outre, ceux qui font le choix d’officialiser leur relation se marient plus tard. Dans les années 1980, en moyenne, les hommes et les femmes se mariaient respectivement à 27 et 24 ans. Aujourd’hui, ils attendent en moyenne d’avoir 33 et 31 ans.

Comment cette tendance s’explique‑t‑elle ? Comme le montre le témoignage de Yeon Soo, l’une des raisons est que les femmes craignent de devoir renoncer à leur carrière pour devenir mères au foyer et assumer seules toutes les responsabilités domestiques et familiales. « Je pense que le plus important, c’est de savoir si mon partenaire potentiel saura véritablement me respecter et m’encourager dans ma carrière », précise‑t‑elle. « Ici, en Corée, après le mariage, une femme peut voir son statut changer. Elle n’est plus considérée comme une femme, mais comme une épouse, une mère, une belle-fille. »

Comme Yeon Soo, des milliers de Coréennes rejettent désormais la vision traditionnelle du mariage obligatoire, assorti de la responsabilité de fonder une famille, de s’occuper de la maison et d’obéir à ses beaux‑parents, et le voient de plus en plus comme un choix, une option qui n’implique pas forcément de sacrifier son cursus universitaire ou sa vie professionnelle.

Si l’on se marie moins et plus tard, c’est en partie à cause de l’instabilité du marché de l’emploi, qui condamne de nombreux jeunes, en particulier les femmes, à des emplois précaires ou à temps partiel, comme l’explique Ki Nam Park, secrétaire générale de l’Association coréenne de la population, de la santé et du bien-être. « Environ 72 % des femmes possèdent au moins un diplôme de l’enseignement supérieur », avance‑t‑elle. « L’augmentation de l’âge au premier mariage rend compte d’une tendance sociale : aujourd’hui, les jeunes s’investissent davantage dans leur parcours universitaire et leur formation professionnelle, et souhaitent d’abord trouver un bon emploi et le garder. »

Ces mariages moins nombreux et plus tardifs s’accompagnent d’une baisse de la natalité. Contrairement à ce qui se passe dans beaucoup d’autres pays développés, en République de Corée, la procréation intervient presque exclusivement dans le cadre du mariage, explique Mme Park. Le taux de nuptialité étant au plus bas, le pays affiche donc la fécondité globale la plus faible au monde, avec seulement 0,81 enfant par femme.

Ce recul des naissances tracasse certains décideurs politiques, car il signifie que la proportion de personnes âgées dans la population augmente rapidement, et le coût de leur prise en charge médicale et des services à leur fournir « sera un lourd fardeau pour les jeunes générations », avertit Mme Park. « Si la population totale diminue, la production et la consommation diminueront également, l’économie se contractera, ce qui au bout du compte affaiblira la vitalité de la société. »

La baisse des taux de nuptialité et de fécondité dans le pays est étroitement liée aux mentalités qui perpétuent les inégalités entre les genres en matière d’emploi, d’éducation des enfants et de tâches domestiques. Compte tenu des perspectives plus intéressantes qui s’offrent aux femmes non mariées (sur le marché du travail et dans la société en général), mais aussi de la hausse des coûts liés à l’éducation des enfants, la formule traditionnelle du mariage, dans laquelle la femme quitte son emploi et reste à la maison pour élever les enfants tandis que son mari passe ses journées à travailler et ne consacre que peu de temps aux responsabilités domestiques et familiales, a perdu de son attrait pour de nombreuses jeunes femmes, en particulier celles qui ont fait de longues études, selon une récente enquête de l’OCDE sur l’évolution rapide de la société coréenne (OCDE, 2019). La parentalité restant souvent indissociable du mariage, les difficultés rencontrées par les jeunes ne serait-ce que pour trouver un ou une partenaire tout en s’insérant sur le marché du travail contribuent au déclin de la fécondité, comme le précise l’étude.

La République de Corée n’est pas le seul pays où le recul du nombre de mariages et de l’âge au premier mariage va de pair avec une chute des naissances. Au Japon aussi, le taux de nuptialité est au plus bas, et 25 % des femmes trentenaires affirment ne pas avoir l’intention de se marier (Gouvernement du Japon, 2022). Quant à la fécondité moyenne, elle atteint environ 1,3 enfant par femme.

Comme les Coréennes, de nombreuses jeunes Japonaises se montrent indécises sur le mariage et la maternité, car elles ne veulent ni renoncer à leur carrière ni devoir assumer une maison à payer et des tâches domestiques.

« Je souhaite me marier un jour, mais à certaines conditions », commente Hideko, 22 ans, employée de bureau à Tokyo. « Il faudrait que je puisse garder mon emploi, et que mon partenaire partage avec moi les responsabilités domestiques et familiales », poursuit‑elle.

Pour de nombreuses femmes, le mariage engendre des coûts d’opportunité importants, explique Sawako Shirahase, démographe sociologue occupant le poste de vice-rectrice principale de l’Université des Nations Unies. Généralement, les femmes n’ont le choix qu’entre deux options : « soit elles conservent leur emploi, soit elles s’occupent de leur famille », résume‑t‑elle.

La décision de se marier et de fonder une famille peut également être influencée par des facteurs économiques, selon Shirahase. En effet, les jeunes préfèrent s’assurer une certaine aisance financière avant de se marier et d’avoir des enfants, et cet objectif s’avère de plus en plus difficile à atteindre, en particulier pour les nombreux jeunes confrontés à une situation professionnelle précaire. « Au Japon, cela coûte cher d’avoir des enfants et de les élever », note Shirahase. « Envoyer ses enfants dans une bonne école est souvent trop onéreux pour les familles qui disposent d’un seul revenu. »

Et si les deux parents travaillent pour offrir à leur progéniture une éducation de qualité, « qui va s’occuper des enfants et des tâches domestiques ? Traditionnellement, c’est la femme qui est censée assumer seule toutes les responsabilités familiales », précise‑t‑elle.

Et lorsqu’un couple se sent finalement prêt à franchir ce cap, il est parfois trop tard pour avoir des enfants. Au Japon, près d’un couple sur quatre a effectué un bilan d’infertilité ou suivi un traitement contre l’infertilité, selon les résultats de l’Enquête sur la fertilité au Japon (Institut national de recherche sur la population et la sécurité sociale, 2022). De plus, passé 40 ans, certaines femmes n’ont même plus la possibilité de fonder une famille, car les hommes hésitent à épouser quelqu’un qui risque de ne pas pouvoir leur donner d’enfants.

Au Japon comme en République de Corée, les décideurs politiques ont mis en place des réductions d’impôts ainsi que d’autres mesures telles que l’élargissement de l’accès à des services de garde abordables afin de soutenir les couples qui souhaitent avoir des enfants. Toutefois, il faudra peut‑être plusieurs générations pour venir à bout de certains obstacles au mariage et à la parentalité. Au Japon, cela ne sera possible qu’au prix d’une remise en question de normes bien enracinées et d’une transformation des systèmes économiques favorisant davantage l’égalité des genres et l’équilibre entre vie professionnelle et familiale, prédit Shirahase.

Natsuko, 32 ans, sage-femme à Yokohama, confie qu’elle aimerait un jour partager sa vie avec un partenaire et avoir des enfants, mais que le mariage et la maternité pénaliseraient fortement sa carrière. « Un homme n’aurait jamais ce problème », déplore‑t‑elle.

De même, en République de Corée, Dr Park appelle de ses vœux « un climat social favorisant une participation active des hommes aux tâches domestiques et à l’éducation des enfants ». Elle ajoute que la discrimination liée au genre en matière d’emploi et de rémunération constitue à ce titre une difficulté majeure.

Saori Kamano, sociologue à l’Institut national de recherche sur la population et la sécurité sociale, souligne que l’on ne peut pas forcer les gens à se marier et à faire des enfants : la seule solution consiste donc à « transformer les systèmes et les institutions, mais aussi les normes », à commencer par celles qui enferment les hommes et les femmes dans des rôles prédéterminés. « Cela prendra du temps, mais notre récente Enquête nationale sur la fécondité laisse entrevoir quelques signes de changement. »

Image publiée avec l’aimable autorisation de Diana Donțu

Des lieux de travail favorables à la famille pour encourager la résilience démographique

Lorsque Diana Donțu, en République de Moldova, a appris qu’elle attendait des triplés, elle a demandé à son patron d’assouplir ses conditions de travail. Celui‑ci a accepté, en raison de la banalisation de ce type de modalité depuis la pandémie de COVID-19, mais aussi de la rentabilité d’un maintien en poste des employés qualifiés. Après la naissance de ses enfants, Diana a télétravaillé et a ensuite repris le chemin du bureau trois jours par semaine pour assurer ses fonctions de directrice exécutive de l’usine de pâtisserie Panilino. « Sans la mise en place de ces mesures, j’aurais été contrainte de changer d’entreprise ou de rester à la maison », explique‑t‑elle.

Lorsque les enfants ont grandi, Diana a pu les confier au centre d’accueil pour la petite enfance récemment créé dans les locaux de l’usine Panilino. « Désormais, s’il arrive quelque chose à l’un de mes enfants sur mon temps de travail, je n’ai qu’à faire quelques pas pour aller voir ce qu’il se passe », poursuit‑elle.

Dans cette région où les femmes doivent souvent choisir entre leur carrière et leur famille, son expérience constitue une exception plutôt que la règle. Une récente enquête réalisée en République de Moldova indique que neuf femmes sur dix dont les enfants sont âgés de moins de 3 ans restent chez elles pour s’en occuper (UNFPA et ministère du Travail et de la Protection sociale de la République de Moldova, 2022). Le manque de politiques favorables à la famille a d’importantes répercussions : les habitants ont moins d’enfants qu’ils ne le souhaitent, ce qui entraîne une réduction du taux de natalité. En outre, les entreprises (qui voient déjà le nombre de travailleurs potentiels diminuer en raison de l’émigration) ne bénéficient pas des compétences des femmes qui ne sont pas en mesure de réintégrer le marché du travail après avoir accouché.

Dans le cadre d’un programme financé par l’Autriche encourageant l’adoption de politiques familiales tenant compte des questions de genre en République de Moldova et dans les Balkans, l’UNFPA a fait part de ses recommandations aux dirigeants de l’usine Panilino en ce qui concerne l’instauration d’environnements de travail favorables à la famille et leur a octroyé une subvention leur permettant d’ouvrir le nouveau centre d’accueil pour la petite enfance. Les données factuelles montrent que ces politiques, tant celles mises en œuvre à l’échelle nationale que celles adoptées par le secteur privé, constituent des outils efficaces pour faire évoluer les normes de genre discriminatoires et rééquilibrer la charge du travail domestique non rémunéré afin que les hommes et les femmes puissent s’épanouir professionnellement sans renoncer à avoir des enfants. Si l’objectif principal est de permettre à davantage de personnes de conjuguer vie professionnelle et vie privée, ces politiques contribuent en outre à atténuer la pression qui incite les jeunes à chercher un emploi à l’étranger.

Dans la région, l’Albanie adopte elle aussi des politiques favorables à la famille qui prévoient des modalités de congé parental avantageuses, pour les femmes comme pour les hommes (UNFPA Albanie et IDRA Research and Consulting, 2021). Toutefois, même s’il existe désormais un congé paternité, les hommes qui choisissent d’en profiter ne sont pas légion. En Europe du Sud-Est, seuls 3 % des hommes déclarent avoir pris un congé paternité (UNFPA et IDRA Research and Consulting, 2022).

L’expérience vécue par Ardit Dakshi illustre l’une des raisons qui expliquent cette situation. En tant qu’ingénieur système à Tirana, il a pu télétravailler lorsque sa femme a donné naissance à leurs jumeaux. « Au départ, mes collègues se moquaient de moi », affirme‑t‑il. Toutefois, il ajoute : « Lorsqu’ils ont pris conscience de tous les avantages, ils ont commencé à prendre leur congé paternité à leur tour. »

De nombreux pays d’Europe orientale et centrale voient leur population diminuer rapidement (Kentish, 2020). Certains gouvernements craignent qu’en l’absence d’un accroissement des naissances et de flux d’immigration, leurs économies s’essoufflent et que les jeunes travailleurs seront trop peu nombreux pour financer les systèmes d’assistance sociale dont dépendent les personnes âgées.

Certains gouvernements ont mis en place des mesures incitatives destinées à encourager les personnes à avoir d’autres d’enfants. Ces mesures sont très différentes d’un pays à l’autre et comprennent des primes octroyées aux familles ayant un certain nombre d’enfants, des abattements fiscaux accordés aux familles nombreuses, des subventions destinées à l’achat d’une maison ou d’une voiture, mais aussi des récompenses décernées aux mères de plus de cinq enfants. Toutefois, comme on l’a constaté avec les allocations familiales versées à l’arrivée d’un enfant, les incitations financières ou les crédits d’impôt ont un impact minime sur les taux de fécondité à long terme, en particulier lorsque les sommes sont modiques (Stone, 2020).

L’adoption d’une approche plus résiliente aide les couples à concilier vie privée et vie professionnelle et ainsi à avoir le nombre d’enfants qu’ils désirent.

Des données et des études montrent combien il est utile de créer des lieux de travail favorables à la famille et d’instaurer un congé parental généreux et équitable ; dans ces conditions, les femmes ont accès à davantage de possibilités en matière d’emploi et les hommes participent aux tâches domestiques (Armitage, 2019).

« Profiter du congé paternité et créer un véritable lien avec mes filles est la chose la plus importante que j’ai jamais accomplie », explique Ardit Dakshi.

Alors que Diana Donțu répond à un appel sur Zoom, son fils Alexandru vient s’asseoir sur ses genoux. « Il ne se sentait pas très bien aujourd’hui, je l’ai donc amené au bureau. Cela aurait été impossible sans ces politiques favorables à la famille. »

Pour Diana et Ardit, bénéficier de conditions de travail flexibles et aménageables a fait toute la différence.

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Dans un monde focalisé sur la croissance démographique, les besoins des couples stériles peuvent être négligés

Environ cinq ans après son mariage, Pat Kupchi a commencé à se demander s’il y avait un problème.

Pourquoi ne tombait‑elle pas enceinte ?

Jusqu’alors, elle n’y avait pas vraiment prêté attention car elle se concentrait sur ses études de droit à l’université Ahmadu Bello de Zaria, une ville située dans l’État de Kaduna, au Nigéria. Mais une fois ses études achevées, son entourage a lui aussi commencé à se poser des questions. « Elle a terminé ses études, qu’est-ce qu’elle attend maintenant ? » Pat Kupchi évoque les pressions qu’elle a ressenties.

Au Nigéria, une femme a en moyenne cinq enfants au cours de sa vie. « En Afrique », explique Pat Kupchi, « on se marie et si 12 mois plus tard on n’a toujours pas d’enfant, c’est qu’il y a un problème. »

Avec son mari, ils sont allés consulter un médecin qui a diagnostiqué qu’elle ne parvenait pas à être enceinte parce que ses trompes de Fallope étaient obstruées.

En 1997, l’année où Pat Kupchi a appris la nouvelle, les techniques de procréation assistée commençaient tout juste à être disponibles au Nigéria. Elle s’est rendue dans une clinique qui suscitait l’espoir grâce à la fécondation in vitro. À cette époque, les coûts étaient exorbitants. « Les gens étaient sceptiques à propos du processus », affirme Pat Kupchi. « C’était nouveau et c’était cher. Je me demandais si je devais vraiment dépenser une telle somme. »

Mais le couple a décidé que la perspective d’avoir un enfant valait la peine de tenter l’expérience et de courir le risque d’un potentiel échec. Finalement, le processus a abouti au transfert de quatre embryons fécondés, dont l’un a conduit à la naissance, en 1998, de la petite Hannatu, le premier « bébé-éprouvette » officiellement reconnu au Nigéria.

« Un enfant est un trophée, un joyau de la vie », déclare Ibrahim Wada, le gynécologue-obstétricien qui a procédé au traitement de Pat Kupchi. « Les gens accordent une grande importance au fait d’avoir un enfant. »

Toutefois, le docteur Wada reconnaît que la fécondation in vitro est souvent inaccessible à de nombreux couples stériles. Au Nigéria, un cycle de ce traitement coûte entre 2 000 et 3 000 dollars É.-U. (Fertility Hub Nigeria, n. d.), alors que le PIB annuel par habitant est d’environ 2 100 dollars É.-U. (Banque mondiale, n. d.). Afin de venir en aide aux couples stériles, le docteur Wada a créé une fondation qui assume chaque année tout ou partie des coûts générés par quelque 250 cycles de fécondation in vitro.

« Dans les milieux défavorisés, j’ai rencontré des couples qui se retrouvaient au pied du mur », raconte‑t‑il. « Lorsque vous les voyez dans l’impasse, vous mesurez combien cette situation les atteint. »

Certains couples qui n’ont pas accès aux soins ou les moyens de les financer ont recours à des traitements de la stérilité traditionnels, non éprouvés et parfois dangereux. Le docteur Wada explique qu’il peut s’agir de remèdes à base de plantes, ou de substances telles que le sel de table et le genièvre (Subair et Ade-Ademilua, 2022), voire de produits « corrosifs », susceptibles de causer des dommages irréversibles. D’autres couples cherchent de l’aide auprès des guérisseurs traditionnels (Agholor, 2017), mais sans succès pour la plupart.

Au Nigéria, les femmes qui ne parviennent pas à être enceintes sont généralement accusées d’être à l’origine du problème, bien que des facteurs masculins, tels qu’un faible nombre de spermatozoïdes, jouent un rôle dans près de trois cas d’infertilité sur cinq dans le pays (Umeora et al., 2008). La grossesse et la maternité sont « inextricablement liées à la perception de la féminité, et l’infertilité peut susciter un sentiment diffus d’échec de la femme » (Olarinoye et Ajiboye, 2019). « Les femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfants sont stigmatisées », affirme le docteur Wada.

Une étude portant sur les femmes nigérianes souffrant d’infertilité a révélé que 37 % de leurs partenaires masculins avaient déclaré avoir pris une autre épouse, et que 12 % d’entre eux envisageaient de divorcer (Salie et al., 2021). Pour les femmes, un divorce peut signifier l’exclusion de la famille et de la communauté, et s’avérer désastreux sur le plan économique lorsqu’elles ne sont pas financièrement indépendantes.

Cependant, il semblerait que les comportements commencent à changer, certains hommes admettant qu’ils font partie du problème et doivent par conséquent contribuer à la solution. « Aujourd’hui, un plus grand nombre d’hommes accompagnent leur femme dans les cliniques spécialisées dans le traitement de la stérilité. Les femmes ne sont plus les seules « fautives », déclare le docteur Wada. « En 1994, il était très rare de voir des hommes assister aux consultations avec leur épouse. »

Néanmoins, le Nigéria et de nombreux autres pays ont encore un long chemin à parcourir pour défaire l’idée selon laquelle la valeur d’une femme dépendrait du nombre d’enfants qu’elle porterait.

Comme l’explique le docteur Wada, l’un des moyens d’améliorer l’accès aux soins de fertilité est de commencer à appréhender la stérilité de la même manière que tout autre état nécessitant un traitement, plutôt que comme un processus volontaire, accessible uniquement aux personnes ayant les moyens de le financer.

En 1994, lors de la CIPD, 179 gouvernements ont convenu que « tous les pays » devaient s’efforcer de fournir à chaque personne un accès aux soins de santé reproductive, notamment « à la prévention et aux traitements appropriés de l’infertilité », par le biais des systèmes de soins de santé primaire. Pourtant, rares sont les pays ayant atteint cet objectif.

« N’est‑il pas ironique de voir des personnes s’inquiéter aujourd’hui d’avoir trop d’enfants, alors que tant d’autres seraient heureuses d’en avoir ne serait-ce qu’un seul ? », s’interroge Pat Kupchi.

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Bâtir un avenir meilleur

Cela fait un demi-siècle que les scientifiques nous alertent, avec toujours plus d’acuité et des échéances toujours plus courtes, sur les changements climatiques et leurs conséquences sur notre avenir. Après des années marquées par la survenue de catastrophes climatiques, la réalité de cette menace s’est fermement ancrée dans l’esprit des jeunes, incitant bon nombre d’entre eux à remettre en cause le plus fondamental des projets de vie, à savoir fonder une famille.

En 2021, une étude menée par l’université de Bath, la plus importante de ce type, a révélé que sur 10 000 personnes âgées de 15 à 24 ans vivant dans dix pays, 39 % hésitaient à avoir des enfants « en raison du changement climatique » (Hickman et al., 2021). Ce pourcentage s’avère plus élevé au Brésil et aux Philippines (respectivement 48 % et 47 %) que dans les pays du Nord. Selon les principaux résultats d’un sondage Morning Consult publié en 2020, 11 % des adultes n’ayant pas d’enfants aux États-Unis considèrent le changement climatique comme une « raison majeure » de ne pas avoir d’enfants en l’état actuel (Jenkins, 2020).

Les observateurs alarmistes pourraient voir dans ce renoncement à la parentalité une démarche visant à ne pas contribuer davantage aux émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, une étude menée en 2020 montre que « la préoccupation suscitée par l’empreinte carbone de la procréation a été éclipsée par l’inquiétude des personnes interrogées pour le bien-être de leurs enfants existants, à naître ou hypothétiques dans un avenir menacé par le changement climatique » (Schneider-Mayerson et Ling, 2020). Une femme de 31 ans participant à cette étude déclarait : « Je souhaite sincèrement être mère, mais le changement climatique s’accélère si rapidement, et provoque déjà tellement de catastrophes, que donner naissance à un enfant dans ce chaos est pour moi inconcevable. »

Josephine Ferorelli a entendu parler du changement climatique pour la première fois à la fin des années 1980, aux États-Unis, alors qu’elle avait 8 ou 9 ans. Le silence assourdissant qui entourait un phénomène aussi colossal et lourd de conséquences – comme s’il s’agissait d’un tabou – lui avait paru surréaliste. Pourquoi les gens n’abordaient‑ils jamais ce sujet ? Il y a une dizaine d’années, elle a rencontré Meghan Kallman, sociologue et activiste aujourd’hui sénatrice de l’État de Rhode Island. « Nous avions un intérêt commun pour l’activisme climatique », explique‑t‑elle, « qui a pris ensuite une autre tournure. » Toujours est‑il qu’elles ont lancé ensemble Conceivable Future, une initiative présentée sur leur site Internet comme « un réseau animé par des femmes pour sensibiliser les Américains à la menace que les changements climatiques font peser sur [leur] vie reproductive et revendiquer la fin des subventions américaines aux combustibles fossiles ».

« Nous nous doutions que nous n’étions pas les seules à éprouver le besoin d’aborder ces questions », explique Josephine Feforelli. Cette impression s’est avérée fondée : « Peut-on avoir trois enfants et réellement respecter la planète ? », se demande une internaute anonyme de 21 ans sur le site. « Je garde l’espoir que si je les élève correctement, ils créeront un avenir meilleur que celui qui semble se profiler actuellement. »

De nombreuses interrogations se posent également : Comment parler du changement climatique avec les enfants ? Comment canaliser le sentiment de désespoir ? Est‑il égoïste de faire des enfants ? Ou au contraire de ne pas en faire ? Et sans enfants, que faire de tout l’amour que nous portons en nous ? Les cofondatrices refusent les réponses dogmatiques, en particulier celles qui engendrent de la culpabilité ou pointent du doigt la croissance démographique mondiale comme étant la cause du changement climatique. Elles estiment que le fait de mettre l’accent sur le sacrifice et la responsabilité individuels est injustifié, ne reflète pas les véritables causes systémiques à grande échelle du changement climatique, et n’offre pas de solutions possibles pour y faire face. « Notre organisation ne prend absolument pas position sur ce que les personnes devraient faire de leur vie reproductive. Nous leur offrons simplement un espace où exprimer ce qu’elles ressentent », précise Meghan Kallman.

« Ce qui nous intéresse avant tout est de savoir comment donner un sens à cette situation de manière à améliorer notre avenir, plutôt que de ruminer inutilement sur notre triste sort », explique‑t‑elle. Pour les deux femmes, la seule bonne réponse est de prendre des mesures décisives pour lutter contre le changement climatique. « L’angle de la parentalité est un moyen d’en parler, d’entrer en relation avec les personnes qui ont des intérêts personnels en jeu et de recueillir leurs sentiments à ce sujet », poursuit Kallman. Elles appellent de leurs vœux des mesures « pour sortir du carbone et favoriser une économie durable, pas pour contrôler le corps des femmes ». « Je trouve tellement insensé qu’il soit beaucoup plus facile de dicter à de nombreuses femmes ce qu’elles doivent faire que d’indiquer la marche à suivre à une poignée d’entreprises exploitant les énergies fossiles ! »

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La vasectomie vue comme un acte d’amour favorisant l’autonomie

« J’adore mon métier », déclare Joseph Mondo, praticien de la vasectomie dans les montagnes escarpées de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Son travail l’amène à passer plusieurs semaines d’affilée dans la brousse, en compagnie de quatre ou cinq bénévoles chargés de transporter l’équipement nécessaire pour réaliser des vasectomies sans scalpel sur des hommes qui ont choisi de ne plus avoir d’enfants. Ils proposent leurs services aux communautés ayant un accès limité aux soins de santé. Agent de proximité au centre Marie Stopes de Papouasie-Nouvelle-Guinée, Joseph Mondo explique que ses services ne suffisent pas à satisfaire toutes les demandes. La plupart de ses clients sont déjà pères de six ou sept enfants. Il travaille souvent tard dans la nuit pour s’occuper d’hommes qui n’osent pas le consulter en présence d’autres personnes.

Partout, mais particulièrement dans les zones rurales isolées où les services de planification familiale sont inexistants, la vasectomie, un moyen rapide et quasiment infaillible d’empêcher une grossesse, s’avère utile et parfois salutaire pour ceux dont les familles sont déjà au complet. C’est une technique beaucoup plus sûre et abordable financièrement que la stérilisation féminine qui, d’après les chiffres, est globalement plus courante (Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies, 2019).

Non seulement la vasectomie fournit aux hommes leur propre mode de contraception, mais elle libère également leur partenaire de la contrainte, des effets secondaires, du coût, des inconvénients et des incertitudes liés aux méthodes contraceptives disponibles pour les femmes. Un recours accru à la vasectomie pourrait radicalement réduire le pourcentage élevé de grossesses non intentionnelles, qui est d’environ 50 % (UNFPA, 2021). En d’autres termes, la vasectomie apparaît comme une solution qui devrait être attractive pour les couples ne souhaitant pas ou plus avoir d’enfants. Toutefois, sa prévalence à l’échelle mondiale, qui a rarement dépassé les 2,4 %, semble avoir diminué depuis 1994, d’après les chiffres fournis par les Nations Unies (Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies, 2019).

La vasectomie est plus fréquente dans certains pays développés, dont le Canada, la Nouvelle‑Zélande, la République de Corée et le Royaume-Uni, où son taux de prévalence est supérieur à 17 %, ainsi que le Bhoutan, où elle est huit fois plus pratiquée que la ligature des trompes.

Pourquoi la vasectomie n’est‑elle pas plus répandue dans le monde ? Le fait qu’il s’agisse d’intervenir sur une partie aussi sensible de l’anatomie masculine n’est pas anodin. En outre, les préjugés concernant la vasectomie sont nombreux : en Afrique subsaharienne, par exemple, où sa prévalence est statistiquement négligeable, l’opération est parfois perçue, d’une part, comme une perte de virilité, et d’autre part, associée à la promiscuité (Izugbara et Mutua, 2016). Un autre facteur contribue à sa faible prévalence : depuis l’avènement de « la pilule », la contraception a plus ou moins été déléguée à la gent féminine. Les dizaines de produits contraceptifs qui ont été mis sur le marché ciblent tous les femmes.

Mais d’après Jonathan Stack, cofondateur de World Vasectomy Day, une organisation qui a réalisé quelque 100 000 vasectomies depuis 2013, une problématique plus basique est à l’œuvre. « Comme pour toute chose en ce monde, il s’agit d’une question d’argent », déclare‑t‑il. « Si aucun investissement n’a été fait dans le marketing de la vasectomie, c’est parce qu’il n’y a rien à vendre. Toutes les nouvelles solutions contraceptives sur le marché qui sont destinées aux femmes représentent beaucoup d’argent », ajoute‑t‑il. « La vasectomie n’a rien de lucratif. Elle permet de faire des économies. » D’après une publication de l’université Johns Hopkins datant de 2020, chaque vasectomie réalisée aux États-Unis permet au système de santé d’économiser près de 10 000 dollars É.-U. pendant deux ans (USAID et Breakthrough Action, n. d.). Ce même document souligne que dans les pays membres du partenariat mondial de la planification familiale, le Family Planning 2020 (FP2020), désormais FP2030, seuls 20 % des couples ont accès à la vasectomie.

Jonathan Stack explique qu’il mobilise et autonomise les hommes, en libérant ce qu’il considère comme un « désir humain inné de protéger sa famille et d’en prendre soin ». Chaque année en novembre, World Vasectomy Day lance sa campagne annuelle par le biais des médias sociaux, de cliniques réalisant des vasectomies gratuites, de programmes de formation des praticiens et de nombreuses formes de plaidoyer. En 2022, la campagne menée pour le 10e anniversaire de l’organisation a comporté une série d’événements qui ont eu lieu durant un mois au Mexique et dans d’autres pays, sous le slogan : Ensemble, mobilisons‑nous par amour pour nous-même, pour les autres et pour notre avenir ! Grâce à un accord signé avec le ministère de la Santé, 400 médecins ont été mobilisés pour pratiquer bénévolement 10 000 vasectomies dans les 32 États mexicains.

Le mois de novembre 2022 a également marqué le lancement de la World Vasectomy Day Academy, un programme en ligne visant à enseigner les bases de la vasectomie, et d’un annuaire contenant des liens vers plus de 500 praticiens exerçant dans le monde entier.

Jonathan Stack est enthousiasmé par l’influence notable que peut avoir l’intégration positive des hommes sur la planification familiale et la santé reproductive, en particulier au moment où une conscience masculine d’un nouveau genre se fait jour.

Si vous demandez à un homme la raison pour laquelle il subit une vasectomie – et j’ai discuté avec des centaines d’entre eux –, il vous parlera de l’amour qu’il porte à ses enfants, sa famille ou la planète. D’une manière ou d’une autre, il évoquera l’amour. C’est pourquoi nous tenons à mettre en lumière les hommes responsables et parlons de la vasectomie comme d’un acte d’amour. »

© FG Trade

Participation et confiance : des éléments clés pour la collecte de données précises et fiables

L’élaboration de politiques efficaces dépend de la qualité des données démographiques. Afin de définir les priorités en matière d’investissements, de remédier aux inégalités et de favoriser le bien-être général, les pouvoirs publics doivent connaître le nombre d’habitants, leur lieu de résidence et leurs conditions de vie. Dès lors, l’obtention de ces informations requiert la participation des individus. Au cours des dernières années, les gouvernements du Ghana, du Népal, de la République de Moldova et d’autres pays ont adopté des approches innovantes en matière de collecte et d’analyse de données, en prenant notamment des mesures visant à sensibiliser les citoyens au processus et à gagner leur confiance.

En 2021, le Ghana a organisé le recensement de la population et des ménages le plus complet, exhaustif et précis depuis l’indépendance du pays. Toutefois, d’après Samuel Annim, du Service de la statistique du Ghana, le flou entourant la finalité du processus et les informations erronées circulant sur la catégorie de personnes prises ou non en compte, ont conduit certains groupes à s’interroger sur leur participation. « Nous étions conscients de la nécessité de mener une campagne solide de sensibilisation du public afin que chaque personne comprenne que tous les habitants seraient comptabilisés dans le recensement de 2021, et que les données recueillies seraient essentielles pour faire progresser le développement social et économique et réduire les inégalités », explique Samuel Annim.

Cette démarche a consisté non seulement à communiquer auprès du grand public, mais également à collaborer directement avec les institutions religieuses, les établissements scolaires, les universités, les médias et les membres du parlement. Les organisateurs ont imaginé le slogan « Vous comptez, alors faites-vous recenser » (You count, get counted), et le Service de la statistique du Ghana a demandé à des clubs de théâtre estudiantins d’interpréter des pièces en un acte visant à sensibiliser les communautés au recensement et à les aider à comprendre ce que les agents recenseurs se présentant dans leur ville attendraient d’elles. Le Ghana a également fait appel à des personnes issues de groupes vulnérables et souvent délaissés, telles que les personnes en situation de handicap, afin qu’elles prennent part aux activités de formation, de sensibilisation et de collecte de données menées dans le cadre du recensement. « Nous avons voulu faire en sorte que toutes les personnes concernées par le recensement aient un rôle à jouer », déclare Samuel Annim.

En République de Moldova, le Conseil national de la jeunesse et l’UNFPA ont mobilisé les jeunes pour faire du porte-à-porte et inciter la population à contribuer au recensement de 2014. Si les efforts déployés se sont traduits par une participation accrue, de nombreux Moldaves n’ont pourtant pas été recensés. Afin d’obtenir une vision plus exhaustive de la taille de la population nationale, le Gouvernement a pris l’initiative originale de comparer les données relatives à la consommation énergétique avec celles issues du recensement. En outre, il s’est appuyé sur les données concernant le franchissement des frontières pour réaliser la toute première estimation du nombre de personnes résidant dans le pays, quittant le pays et retournant dans celui-ci. Ces informations ont permis de se faire une idée plus précise du nombre de personnes résidant habituellement en République de Moldova. Elles ont également conduit la Banque mondiale à revoir à la hausse le statut économique du pays et, par conséquent, à réviser d’autres indicateurs statistiques, notamment les niveaux de référence et les niveaux cibles au regard des ODD.

En 2021, le Népal a entrepris de recenser l’intégralité de sa population, une tâche colossale dans un pays comptant 125 castes et groupes ethniques parlant 123 langues et répartis dans sept provinces, 753 localités et 6 743 subdivisions appelées « quartiers ». Afin de créer un climat de confiance, une campagne d’information arborant le slogan « Mon recensement, ma participation » (My census, my participation), a été lancée. Les organisateurs ont par ailleurs insisté sur le fait que les données seraient utilisées pour orienter les mesures à prendre en vue d’atteindre les ODD, en évaluant notamment dans quelle mesure les Népalais jouissaient de leurs droits et avaient accès aux services. Ils ont également veillé à ce que les groupes de personnes vulnérables et marginalisées, dont les personnes handicapées, soient impliqués dans les opérations de recensement. Les femmes ont représenté près de la moitié de l’ensemble des agents chargés de la collecte et du traitement des données.

En conclusion, comme l’affirme Samuel Annim, pour qu’un recensement ait une réelle valeur, il est nécessaire que les données soient véridiques et que les personnes aient l’assurance que les informations fournies leur seront profitables. « Cela suppose d’adopter une stratégie apolitique et d’impliquer toutes les parties prenantes au processus, notamment les organisations de la société civile, les institutions religieuses et les groupes vulnérables », ajoute-t-il. « Nous devons clairement indiquer que les données obtenues grâce au recensement sont essentielles pour garantir que personne ne soit laissé de côté. »

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