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« Les blessures psychologiques mettront du temps à cicatriser » : à Derna, après la tempête Daniel, il faut traiter des traumatismes terribles

Deux barrages détruits ont propulsé un mur d’eau sur Derna, en Libye, à l’aube du 11 septembre dernier ; des quartiers entiers ont été engloutis. © UNFPA Libye / Ahmad Algeriany
  • 05 Octobre 2023

DERNA, Libye – « L’hôpital était submergé d’urgences et de cadavres », raconte la Dr Nehal Anwar, 29 ans, gynécologue, qui travaille dans une maternité de Derna, une ville côtière du nord-ouest de la Libye. « Même les personnes qui avaient survécu étaient dans un état critique, et d’autres avaient encore des visions d’elles-mêmes piégées sous les flots. »
 
« Je n’arrive toujours pas à y croire. »
 
La Dr Anwar était de garde dans la nuit du 10 au 11 septembre lorsqu’un bruit de tonnerre a retenti dans toute la ville. Bien qu’elle ne l’ait pas su à ce moment-là, c’était le bruit de deux barrages qui cédaient – un mur d’eau s’en est échappé et s’est dirigé droit sur la ville.
 
Selon les responsables gouvernementaux, 4 255 personnes sont présumées mortes et 40 000 ont été arrachées à leur foyer par la tempête Daniel, qui a provoqué des pluies torrentielles et des crues sur toute la côte nord-ouest de la Libye, la plus grande catastrophe naturelle du pays depuis plusieurs décennies.
 
L’épicentre de ces destructions est situé à Derna, dont des quartiers entiers ont été engloutis par les eaux, et où des milliers de personnes sont toujours portées disparues. Certaines sont d’ailleurs des proches de la Dr Anwar.
 
« J’ai perdu beaucoup de membres de ma famille, notamment le mari de ma tante et mes cousin·e·s », explique-t-elle. « De plus, certain·e·s de mes collègues font partie de celles et ceux qui ont malheureusement péri. »

Une détresse émotionnelle

Les effets dévastateurs de la tempête Daniel sur Derna et son sillage destructeur sont parfaitement visibles : selon un responsable du gouvernement, un quart de la ville a tout simplement disparu.
 
Ce que l’on voit moins au premier regard, ce sont les cicatrices psychologiques, pourtant tout aussi graves, qu’a laissées la catastrophe. La Dr Anwar indique avoir rencontré des personnes à l’hôpital qui ne savaient pas comment elles allaient continuer à vivre après avoir perdu leurs proches dans les crues.
 
« Les femmes que je rencontre à l’hôpital ont cruellement besoin d’un soutien psychologique », précise-t-elle. « Beaucoup d’entre elles sont en grande détresse émotionnelle, notamment celles qui sont enceintes, car elles doivent surmonter la perte de membres de leur famille et de leur logement. »

Dans les régions libyennes touchées par les crues, près de 24 000 femmes et filles ayant besoin d’aide humanitaire seraient enceintes, et n’ont pas accès aux services essentiels de santé sexuelle et reproductive. On estime que parmi elles, une sur 10 doit accoucher dans le mois qui vient.

Pour pallier les manques d’aide et de services, « l’UNFPA se mobilise afin de fournir aux femmes et aux filles dans le besoin des soins de santé et des produits essentiels », a déclaré la Dr Natalia Kanem, directrice exécutive de l’UNFPA.
 
L’agence a envoyé des équipes médicales mobiles dans cinq établissements de santé primaires de Derna pour renforcer la prestation de services de santé maternelle et infantile. Avec l’aide de son partenaire de mise en œuvre, Amazonsat, elle a également pu déployer des agent·e·s mobiles d’aide psychosociale, qui rendent visite aux femmes déplacées par la crise à Benghazi, afin de leur fournir une aide en santé mentale.
 
« Je suis convaincue que l’association des services de santé reproductive, d’aide psychosociale et d’aide au logement est fondamentale pour répondre aux besoins actuels des femmes et des filles touchées par cette crise », affirme la Dr Anwar.

Un travailleur de l’UNFPA soulève un carton de fournitures humanitaires.
UNFPA Libya collaboratedL’UNFPA Libye collabore avec l’UNICEF Libye, le Programme alimentaire mondial et IOM afin de distribuer des produits essentiels à 50 familles de Tolmeita (Libye) : ustensiles de cuisine, kits dignité et kits alimentaires familiaux. © UNFPA Libye

Surmonter la douleur personnelle

Après avoir assuré sa garde la nuit de l’effondrement des barrages, la Dr Anwar a quitté l’hôpital à 10 heures le 11 septembre, voulant à tout prix retrouver sa mère.
 
Elles se sont retrouvées chez la sœur de la Dr Anwar, où cette dernière a passé les quelques jours suivants à attendre les terribles nouvelles du décès ou de la disparition de proches, et de l’ampleur des dégâts à Derna. « J’étais psychologiquement dépassée et incapable de faire quoi que ce soit », dit-elle.
 
Au bout de quatre jours, cependant, la Dr Anwar est retournée à l’hôpital, souhaitant mettre à profit ses compétences pour aider les autres en cette période de crise.
 
« Je ne voulais pas rester chez moi et me sentir inutile », explique-t-elle. « Je viens [à l’hôpital] tous les jours, et j’essaie d’aider les gens du mieux que je peux. »
 
Le type de compétences qu’elle peut offrir sera vital pour les centaines de femmes de Derna qui devraient accoucher ces prochaines semaines. Grossesses et accouchements ne disparaissent pas par magie dans les situations d’urgence : une femme a ainsi accouché à la maternité de Derna le 11 septembre, alors même que la tempête Daniel faisait rage ; l’établissement reçoit désormais l’aide de l’UNFPA.
 
« Le travail héroïque de la Dr Anwar et de bien d’autres soignants et soignantes en Libye nous inspire toutes et tous. L’UNFPA multiplie ses efforts sur tous les fronts pour aider les femmes à accoucher en toute sécurité et les jeunes à surmonter leurs traumatismes et s’épanouir à nouveau », a souligné M. Samir Anouti, représentant de l’UNFPA en Libye.
 
La vie continue de naître dans la ville, malgré la mort et la désolation.
 
« Il nous est très difficile d’imaginer la reconstruction de la ville après des événements aussi tragiques », explique la Dr Anwar. « Même si nous reconstruisons physiquement la ville, les blessures émotionnelles et psychologiques mettront du temps à cicatriser. »

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