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Le Viet Nam publie une étude de cohortes historique sur les violences faites aux femmes
- 28 Août 2020
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HANOI, Viet Nam – « Mon corps porte encore des traces laissées par mon mari. J’ai des cicatrices à vie sur tout le visage, et je ne pourrai jamais l’oublier ». Ce sont les mots de Tuyen*, une femme âgée d’une cinquantaine d’années qui vit dans une zone rurale du Viet Nam.
Son expérience n’est que trop banale, comme le montre une nouvelle étude financée par l’UNFPA, qui est la première étude de cohortes au monde à utiliser une méthode développée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dont la validation est interculturelle. Cette étude donne pour la première fois depuis 2010 (date de la première étude à ce sujet) un aperçu des progrès dans l’élimination des violences faites aux Vietnamiennes.
Les résultats sont mitigés.
On ne constate d’une part qu’un déclin modeste dans la violence physique et psychologique exercée sur les femmes par leurs partenaires, et on note une augmentation des signalements de violences sexuelles au sein du couple.
D’autre part, cependant, les femmes jeunes déclarent subir moins de violences que celles qui sont plus âgées. On remarque des changements prometteurs dans l’attitude des jeunes femmes vis-à-vis de leurs droits et de leur autonomisation. Selon les chercheurs et chercheuses, l’augmentation des signalements de violences sexuelles pourrait indiquer que la population – et surtout la jeune génération – est plus encline à reconnaître cette violence et à en débattre.
En 2010, 34,4 % des femmes déclaraient subir des violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur partenaire. En 2019, elles étaient 32 %.
En 2010, 33,3 % des femmes déclaraient que leur partenaire était dominateur. Cette proportion a chuté à 27,3 % en 2019.
La lenteur des progrès inquiète les expert·e·s.
« La violence faite aux femmes reste encore cachée à cause des stéréotypes de genre qui ont toujours largement cours dans la société. Le silence, la stigmatisation de la part de la communauté et une culture du reproche empêchent les survivantes de parler et de chercher de l’aide », explique Nguyen Thi Ha, vice-ministre au ministère du Travail, des Invalides et des Affaires sociales, qui a collaboré pour cette étude avec le General Statistics Office, l’UNFPA et le Département australien des Affaires étrangères et du Commerce.
Sur certains points, on constate même une régression.
En 2010, 9,9 % des femmes déclaraient avoir subi des violences sexuelles de la part d’au moins un partenaire dans leur vie. Elles étaient 13,3 % en 2019. La violence sexuelle hors du couple est de son côté passée de 2,3 % à 9 % sur la même période.
Des recherches plus poussées sont cependant nécessaires pour déterminer si cela reflète une réelle augmentation de la violence sexuelle, ou si les répondantes à l’enquête récente ont une conscience plus aiguë du problème et sont mieux armées pour parler de ce qui leur est arrivé.
Les données sur les violences faites aux femmes sont connues pour être difficiles à obtenir et à analyser. Les survivantes sont peu nombreuses à demander de l’aide. Ainsi, des indicateurs comme les rapports de police ou les appels aux lignes d’assistance ne permettent pas d’évaluer la majorité des violences que vivent les femmes.
Grâce à la publication de cette étude, le Viet Nam ouvre la voie à une meilleure collecte des données. Cette enquête a en effet produit des données plus fiables en interrogeant un échantillon national et culturel de femmes qui est large et représentatif. Les enquêteurs et enquêtrices ont été formé·e·s à la confidentialité et à la sécurité pour permettre de recueillir des réponses claires sur divers types de violence.
La méthodologie développée par l’OMS a déjà été appliquée dans 30 pays du monde, dont 26 dans la région Asie-Pacifique, où l’UNFPA et le gouvernement australien ont fait de l’étude de la violence basée sur le genre une priorité, grâce au programme kNOwVAWdata.
« Cela ne surprend personne : améliorer la qualité des données recueillies sur les violences faites aux femmes est très difficile. Un trop grand nombre de femmes garde encore le silence pour diverses raisons. Peut-être parce que leur mari ou partenaire risque à nouveau de lever la main sur elles. Peut-être parce qu’elles ont peur de ne pas être prises au sérieux, ou même d’être accusées d’avoir “provoqué” elles-mêmes ces violences », déclare le Dr Henriette Jansen, responsable technique du projet kNOwVAWdata.
« Nous avons besoin de données précises pour que les femmes ayant subi des violences bénéficient des meilleurs services possibles », ajoute-t-elle.
Dans les années à venir, de plus en plus de pays mèneront des études de cohortes avec cette méthodologie.
Selon les expert·e·s, les résultats constatés au Viet Nam pourraient être représentatifs d’une tendance plus générale : des progrès lents dans l’élimination de la violence, malgré la meilleure conscience qu’ont les femmes de leurs propres droits.
L’histoire de Tuyen reflète bien ces changements lents mais fondamentaux.
« Pendant 26 ans, je me suis occupée de lui. Tout ce que j’obtenais en échange, c’étaient des coups », raconte-t-elle à propos de son mari. « Il me frappait à la tête, j’avais des bleus dans le dos. J’ai eu des fractures graves aux jambes et aux bras… Il y a trois ans, j’ai décidé de sauver ma vie. »
Tuyen a quitté son mari et a commencé comme bénévole à l’association pour femmes de sa région. Elle est aujourd’hui un mentor et un modèle pour les autres femmes.
« Mon expérience m’a permis de comprendre les femmes qui ont souffert, de m’identifier à elles, et de les aider à trouver enfin le bonheur », déclare-t-elle.
*Le prénom a été changé pour garantir l’anonymat.