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Violence conjugale en Géorgie : briser la loi du silence

Les violences conjugales prospèrent sous couvert du silence. En Géorgie, une vaste campagne vise à lever le voile sur ce problème.
  • 04 Mars 2013
TBILISSI, Géorgie – Ia B. est une femme fine et élégante, aux grands yeux noisette, vêtue à la dernière mode, et à la brillante personnalité reflétée par son sourire enjôleur. Elle n'a pas toujours eu l'air si posée ni sûre d'elle. Selon les dires d'Indira Robakidze, coordinatrice de programme du foyer des victimes de violences conjugales de Tbilissi, la vie d'Ia était sans dessus dessous lors de son entrée au foyer. « Elle était pâle, terrorisée et désorientée, » se souvient Indira. « Regardez tout le chemin qu'elle a parcouru. »
Ia, 45 ans, a été mariée à un homme violent pendant 15 ans. Pendant toutes ces années, elle vivait dans une situation de peur permanente créée par la domination, le harcèlement et les coups quotidiens de son époux. Prisonnière de son propre foyer, elle avait peur de tout quitter et peur de rester, sachant qu'elle serait « punie » pour tout acte que n'approuverait pas son mari. « Je devais demander la permission chaque fois que je sortais, » se rappelle-t-elle. « Il me frappait devant mes enfants, il me frappait devant ses parents. Il me frappait tout le temps, en permanence. Je souffrais, mais le pire, c'est que mes enfants souffraient aussi. »
 

Des spots et posters du service public tels que celui-ci encouragent les femmes.

L'importance de parler

Un beau jour, Ia décida de mettre un terme à ses souffrances. Ce fut le jour où elle vit un spot télévisé du service public sur les violences conjugales. Il y était dit que les violences conjugales constituaient un crime en Géorgie et un numéro d'aide aux victimes s'affichait à l'écran. Ia composa le numéro avant même la fin du spot. Le lendemain, elle se présenta au foyer, raconta son histoire et on lui proposa alors de l'héberger avec ses enfants. Elle quitta le domicile conjugal le jour même et entra au foyer où elle demeura les huit mois qui suivirent afin de se reconstruire et de retrouver la paix.

L'histoire de violences conjugales d'Ia n'est pas un cas isolé, mais sa détermination à se faire entendre et le courage dont elle a fait preuve en cherchant une aide extérieure constituent l'exception à la règle. D'après une enquête nationale réalisée en 2009 par l'UNFPA Géorgie, 75 % des femmes géorgiennes pensent que les violences conjugales relèvent de la sphère privée et ne devraient pas être ébruitées en dehors du cercle familial. Les mêmes recherches révèlent que seulement 2 % des femmes font appel à la police, à un avocat et à d'autres prestataires de services lorsqu'elles se retrouvent confrontées à des actes de violence domestique.

Les raisons expliquant ces chiffres sont multiples, mais le manque d'information sur l'illégalité des violences conjugales et sur l'existence de mécanismes de protection constitue une des principales raisons pour lesquelles les femmes préfèrent dissimuler les bleus dont elles sont victimes.

Diffusion de la bonne parole

Afin de changer cette situation, l'UNFPA Géorgie a mis en œuvre une vaste campagne de sensibilisation mettant en évidence la nature criminelle des violences conjugales dans le cadre de la loi géorgienne, faisant la promotion d'un numéro national d'aide aux victimes, et encourageant les femmes à l'appeler pour demander de l'aide. L'UNFPA et ses partenaires ont produit et diffusé plusieurs spots de service public sur les chaînes de télévision nationales et via les médias sociaux, et ont placardé des affiches indiquant les numéros d'aide aux victimes dans toute la ville de Tbilissi, capitale du pays. Outre les campagnes médiatiques, l'UNFPA a mis en place des séances de sensibilisation destinées à plus de 2 000 dirigeants communautaires, enseignants, étudiants et journalistes sur l'ensemble du territoire géorgien, diffusant ainsi le message concernant les pratiques néfastes exercées à l'encontre des femmes du pays et les solutions de protection mises à leur disposition.

Ia est convaincue qu'avoir appelé le numéro d'aide aux victimes est la meilleure décision qu'elle n'ait jamais prise. Ia a passé de nombreux mois au sein du foyer géré par le gouvernement où elle a pu bénéficier d'une aide physiologique, médicale et juridique. Ses deux enfants ont pu aller à l'école, faire leurs devoirs et pour la première fois jouer sans cette peur permanente et ce contexte de brutalité qui constituaient jusqu'alors leur quotidien. Ia est reconnaissante envers le foyer et le personnel assurant sa gestion. Sans le foyer, dit-elle, elle aurait eu nulle part où aller. Elle aurait été perdue.

Les services d'aide aux victimes de violences conjugales changent des vies

L'UNFPA organise des séances d'information sur les questions relatives au genre dans un camp d'été pour jeunes. Photo : UNFPA Géorgie

Jusqu'à il y a quelques années, les victimes de violences conjugales ne disposaient pas de telles opportunités en Géorgie. Ce n'est qu'en 2009 que les autorités du pays ont commencé à mettre en place des foyers pour les survivants de violences conjugales, suite à un gros travail de plaidoirie effectué par des organisations internationales d'aide au développement et des ONG locales. L'UNFPA a dès le début assuré le leadership de ces initiatives : en 2008, l'UNFPA a soutenu le parlement géorgien dans l'adoption d'amendements à la loi relative aux violences conjugales. Il a par la suite fourni une aide technique pour la mise en place d'un mécanisme national d'orientation à disposition des victimes de violences conjugales et a soutenu l'établissement de mécanismes visant à protéger les victimes et à répondre aux abus domestiques. À l'heure actuelle, l'UNFPA aide le gouvernement à renforcer davantage la réponse nationale aux violences conjugales via l'intégration des mécanismes nationaux d'orientation et du système de santé.

Mise en place de partenariats avec des hommes pour mettre un terme aux violences faites aux femmes
 

Bien que la Géorgie ait accompli d'importants progrès dans l'établissement d'un environnement propice à la protection des droits des femmes, et en particulier des survivants de violences conjugales, ce petit pays coincé dans les montagnes de la Transcaucasie a encore beaucoup à faire. Dans la Géorgie profonde traditionnelle où la culture patriarcale prédomine, les hommes sont chargés de la prise de décisions, et comme le dit si bien un célèbre proverbe géorgien, « Les femmes savent se tenir à leur place. »
C'est pourquoi l'UNFPA a travaillé à la mobilisation des hommes et des garçons afin de mettre fin aux violences faites aux femmes. Des centaines d'hommes ont été formés via la méthode dite des « conversations d'homme à homme », les encourageant à assumer leur part de responsabilité afin de mettre un terme aux violences infligées aux femmes et afin d'accepter l'égalité des sexes. Le projet a été lancé en 2010 et se poursuit sous la forme de plans de renforcement et d'élargissement de l'initiative. Dans un pays où presque la totalité des décisions, qu'il s'agisse de questions d'ordre politique ou d'affaires familiales, sont prises par des hommes, avoir des hommes comme partenaires fait toute la différence dans la quête de la tolérance zéro face aux violences fondées sur le genre.
 

Le fait de tolérer entretient le cycle de la violence

Selon les experts, le fait que les violences conjugales soient tolérées constitue le plus grand frein au progrès en Géorgie. Ce phénomène est encore largement accepté dans les sphères privée et publique. Ia se rappelle de la fois où elle a appelé la police après avoir été gravement battue et menacée d'être jetée dehors par son mari. « Dès que la police est arrivée, mon mari est d'un coup devenu extrêmement poli, s'est excusé d'avoir perdu son sang-froid et a dit à la police qu'il ne ferait jamais de mal à sa famille. La police m'a alors pris à part et m'a dit : Quelle famille ne se dispute pas ? Un jour on se chamaille, et le lendemain on s'aime. Vous êtes une femme après tout : vous devriez trouver des façons d'arranger les choses avec votre mari. »

Cet indicent s'est produit en 2009. Depuis lors, les forces de police géorgiennes ont suivi un vaste programme de formation aux violences conjugales, soutenu par l'UNFPA et ses partenaires. Ce programme était spécialement destiné aux forces de police présentes en zones rurales où les violences conjugales sont particulièrement répandues et où les capacités de la police sont limitées pour répondre à ces situations. L'UNFPA a en outre exercé des pressions en faveur de l'intégration de la question des violences conjugales dans le programme de l'École nationale de police et a élaboré pour la police un manuel sur les violences conjugales qui a été distribué aux officiers de police de tout le pays.

Encourager d'autres femmes à demander de l'aide

Quand on lui demande si elle souhaite faire passer un message aux autres femmes victimes de violences conjugales telles que celles qu'elle a endurées pendant plus de 15 ans, le visage d'Ia s'assombrit et laisse couler quelques larmes en repensant au passé. Mais très rapidement, ces yeux retrouvent leur étincelle. Elle prend enfin la parole : « Il y a bien un message que je souhaiterais transmettre aux autres femmes : N'attendez pas aussi longtemps que moi. Il existe des endroits où vous réfugier et des personnes qui vous aideront à commencer une nouvelle vie. Faites-le pour vous-même et, plus important encore, faites-le pour vos enfants. Sinon, vous gâcherez votre vie et celle de vos enfants, et il sera trop tard. »

Alors qu'Ia s'apprête à partir et enfile un joli manteau beige et une écharpe d'un jaune vif en parfait accord avec le teint ivoire de sa peau, elle s'excuse de ne pouvoir rester plus longtemps. Elle a à présent un nouvel emploi et travaille en double poste dans une société basée en Allemagne qui la paie suffisamment pour pouvoir s'acquitter de son loyer et subvenir aux besoins de sa famille. Le contentieux qui l'oppose à son mari concernant la propriété qu'ils détenaient conjointement est toujours en instance, et le Fonds d'État pour la protection des victimes de traite et de violences conjugales continue à lui fournir une aide juridique afin qu'elle puisse obtenir gain de cause.
 

Si tout se passe bien, elle aura bientôt son propre toit et pourra élever sa famille. Elle espère que les autres femmes souffrant en silence trouveront la force et le courage (et le soutien) d'oser s'exprimer, d'échapper à la violence et de tout recommencer.

Tamar Vashakidze for UNFPA

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