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Poursuivre sa scolarité en Jamaïque malgré la grossesse

La mère de Kazan apporte son aide au jeune homme et à son bébé, Shakira. Photo : UNFPA/Jamaïque
  • 10 Août 2010

KINGSTON, Jamaïque — Antoinette Sykes, 28 ans, est heureuse que son métier lui permette d’améliorer la vie de certaines jeunes filles. Mais tout n’a pas toujours été facile pour elle non plus. À l’âge de 15 ans, alors qu’elle était encore au lycée, elle est tombée enceinte.

« J’étais persuadée que j’allais prendre beaucoup de retard et compromettre mon avenir. Cette pensée ne me quittait plus », se souvient Antoinette.

En Jamaïque, lorsqu’une adolescente tombe enceinte, elle est exclue de l’école. Il arrive aussi que sa famille et les autres jeunes de son âge l’abandonnent et l’isolent. Antoinette estime qu’elle a eu de la chance. Dans ce moment de désarroi, son conseiller d’orientation à l’école lui a parlé du Centre pour les femmes de la Fondation jamaïcaine (WCJF). Il s’agit d’une initiative du gouvernement qui propose une poursuite de la scolarité, des conseils et des formations aux compétences pratiques aux filles de moins de 17 ans qui tombent enceintes pendant leur scolarité.

Antoinette au travail, aidant les mères adolescentes. Photo : UNFPA/Jamaïque

Apprendre à être une meilleure mère

« Le Centre m’a été d’un grand secours. Le personnel m’a appris à m’occuper de mon enfant, à prendre soin de moi et à être une meilleure mère », affirme Antoinette.

Bien que déçus par sa grossesse précoce, les parents d’Antoinette l’ont soutenue pendant cette période difficile. Elle a pu poursuivre ses études de niveau lycée au Centre pour les femmes pendant sa grossesse et réintégrer le système éducatif formel après l’accouchement.

Aujourd’hui, Antoinette est secrétaire principale au Centre et raconte son histoire aux jeunes filles qui viennent solliciter de l’aide. Souvent effrayées et démoralisées, les adolescentes reprennent confiance en discutant avec Antoinette et gagnent une meilleure estime d’elles-mêmes.

« Ce sera difficile », les prévient-elle. « Vous subirez les injures et le mépris des gens. Mais chérissez l’enfant que vous portez. Mon fils, c’est toute ma vie », leur dit-elle.

Le WCJF aide chaque année plus de 1 000 mères adolescentes grâce à son réseau de centres et d’antennes de proximité établis à travers toute l’île.

Beaucoup de futures mères ne sont pas suffisamment soutenues par leurs parents

Beryl Weir, directrice exécutive du WCJF, s’inquiète du manque de soutien parental dont souffrent certaines de ces jeunes filles, pourtant en situation de fragilité financière et affective. Elle indique que 206 des 1 607 adolescentes inscrites en 2008-2009 ne sont pas allées jusqu’au bout du programme, principalement en raison d’un appui insuffisant.

« Certains parents sont convaincus qu’ils ne sont plus responsables de leur fille dès lors qu’elle tombe enceinte », remarque Beryl Weir. « Cette attitude anéantit tous nos efforts pour améliorer la qualité de vie des jeunes mères et de leurs bébés, car si elles ne suivent pas le programme, nous ne pouvons pas les aider à réintégrer le système scolaire après leur accouchement. »

Beryl Weir, directrice exécutive du Centre pour les femmes de la Fondation jamaïcaine (assise), prend connaissance des informations fournies par Antoinette Sykes (debout) au bureau de Kingston, en Jamaïque. Photo : UNFPA/Jamaïque

Selon Hernando Agudelo, directeur adjoint du bureau sous-régional de l’UNFPA pour les Caraïbes, la prévention des grossesses chez les adolescentes est une priorité absolue. Pourtant, les messages sur la santé sexuelle et reproductive à l’intention des jeunes et des parents sont difficiles à faire passer et parfois contestés.

« Il y a des malentendus », explique-t-il. « Certaines personnes pensent que les écoles vont apprendre aux enfants à avoir des rapports sexuels. En fait, il s’agit de leur apprendre à gérer leur sexualité de manière responsable. »

La Jamaïque est empreinte d’une grande ferveur religieuse, dominée par diverses confessions chrétiennes. La majorité sexuelle des filles est fixée à 16 ans, mais elles doivent obtenir l’accord de leurs parents pour toute consultation médicale jusqu’à l’âge de 18 ans. Les directives en matière de santé reproductive autorisent les professionnels de la santé à fournir des conseils, des informations sur la contraception et des contraceptifs aux mineurs, si cela est dans leur intérêt. Pourtant, ces messages contradictoires, associés aux convictions personnelles et religieuses de certains professionnels de la santé, n’incitent guère à laisser les adolescents accéder aux services de planification familiale volontaire et de santé reproductive.

Recul des grossesses chez les adolescentes

La dernière enquête sur la santé reproductive (Jamaïque 2008) fait état d’une baisse encourageante de 8,8 % du taux de fécondité des adolescentes, qui est passé de 79 à 72 naissances pour 1 000 jeunes femmes (de 15 à 19 ans) entre 2002 et 2008. Une importante chute (12,6 %) du nombre de naissances chez les filles plus jeunes a également été enregistrée entre 2008 et 2009. La diminution du taux de fécondité des adolescentes est attribuée au recul [G1] de l’âge du premier rapport sexuel associé à une hausse du nombre d’adolescentes ayant recours à la contraception. Même s’ils considèrent ce déclin comme un signe positif, les agents du ministère de la Santé restent mobilisés.

« La persistance des grossesses non désirées ou inopportunes montre que de nombreuses adolescentes ne prennent aucune mesure pour se protéger contre le VIH et les autres infections sexuellement transmises », explique le docteur Eva Lewis-Fuller, responsable de la promotion de la santé et de la protection au ministère de la Santé jamaïcain.

« L’interruption de la scolarité et la capacité de ces filles qui tombent enceintes prématurément à atteindre leurs objectifs personnels soulèvent également des inquiétudes », ajoute-t-elle.

L’UNFPA travaille avec le ministère de l’Éducation sur un programme visant à sensibiliser les lycéens à la santé sexuelle et reproductive. L’initiative s’appuie notamment sur un manuel financé et approuvé par l’UNFPA intitulé « Vous, votre vie, vos rêves ». Ce manuel traitant de la santé et des droits des adolescents et des jeunes en matière de procréation clarifie les mythes et corrige les idées fausses qui entourent des sujets souvent considérés comme tabous.

Une feuille de route pour promouvoir la santé des adolescents

Le gouvernement est en train d’élaborer un plan stratégique qui orientera les mesures nationales en faveur de la santé et de l’épanouissement des préadolescents et des adolescents. Ce plan constituera une feuille de route permettant à tous les jeunes Jamaïcains de vivre une adolescence saine. L’UNFPA soutient cette initiative.

Dans le cadre de l’intensification des efforts pour réduire le nombre de grossesses chez les adolescentes, l’UNFPA continue d’appuyer le travail du WCJF afin que les futures mères aient accès aux services dont elles ont besoin pour atténuer les effets de ces grossesses précoces sur leurs perspectives scolaires, économiques et sociales.

Les pères ont aussi besoin de soutien

Kazan, 16 ans, est père d’une petite fille de 8 mois prénommée Shakira. Il affirme qu’il ignorait tout des méthodes de protection lorsqu’il a commencé à avoir des rapports sexuels avec Nathalie, sa petite amie de 14 ans.

« En fait, je n’étais pas au courant de ce qui était en train d’arriver. Je l’ai appris tardivement et personne n’aurait rien pu y faire », explique-t-il.

Lorsque Kazan a découvert qu’il allait être père, ses parents lui ont immédiatement fait part de leurs recommandations. « On a eu une discussion. Ils m’ont dit : “Tu vas bientôt avoir un enfant. Tu dois prendre tes responsabilités, te comporter en homme et faire face à ton destin.” Alors j’ai réfléchi et décidé d’assumer mon rôle d’homme », se souvient-il.

Les parents de Nathalie ne se sont pas montrés aussi indulgents. Nathalie étant leur seule fille, ils étaient très contrariés. Depuis, la vie de Kazan est devenue plus compliquée. Il a du mal à concilier l’école et ses nouvelles responsabilités de père. Il demande aux autres adolescents de son âge de ne pas faire la même erreur que lui. « Je voudrais dire à tous les jeunes qu’ils doivent utiliser un préservatif ou envisager l’abstinence… car il n’est pas facile d’être un jeune père dans notre société », déclare-t-il.

Il se rend toutes les semaines au Centre pour les femmes, où il reçoit des conseils sur les questions liées à la santé sexuelle et reproductive. Le personnel l’incite également à se concentrer sur son épanouissement personnel et à apporter un soutien moral et financier à la jeune mère et à son bébé.

Les tendances positives révélées par la dernière enquête sur la santé reproductive indiquent que l’approche adoptée pour traiter le problème des grossesses chez les adolescentes porte ses fruits. Mais selon le ministère de la Santé, il reste encore beaucoup de travail à accomplir pour communiquer efficacement les messages portant sur la santé sexuelle et reproductive aux jeunes.

Le Centre pour les femmes continue d’ouvrir la voie en influençant les politiques et en faisant évoluer les attitudes face à la grossesse des adolescentes en Jamaïque. Il promeut une approche globale des problèmes liés aux grossesses non désirées en aidant les jeunes filles à poursuivre leur scolarité et à conserver leurs autres objectifs d’épanouissement économique et social en ligne de mire.

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