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Causes et conséquences de la croissance démographique au Mozambique

Sofia Ibraim, 22 ans, aurait aimé aller à l’école et apprendre à lire et à écrire. Mais aujourd’hui, elle se consacre exclusivement à l’éducation de ses quatre jeunes enfants. Photo : Bénédicte Desrus, SIPA Press/UNFPA.
  • 25 Octobre 2011

Le Mozambique, un des pays cités dans le Rapport sur l’État de la population mondiale 2011 , continue d’afficher une fécondité élevée allant de pair avec la pauvreté et l’inégalité entre les sexes. Les témoignages que nous présentons ci-dessous, compilés lors des recherches préludant le rapport, abordent certaines causes et conséquences de la croissance démographique dans l’un des pays les moins développés du monde.

MAPUTO, Mozambique — « Je veux trois enfants », affirme Ana Maria, en pointant du doigt son ventre dans la salle d’attente de l’unité de soins prénatals du centre de santé de Boane, à environ une heure de la capitale, Maputo. « J’en ai déjà deux – un garçon et une fille – et je veux que celui-ci soit le dernier ». Elle explique qu’élever des enfants revient cher et qu’elle préfère consacrer ses ressources à la construction d’une nouvelle maison de quatre pièces.

Au même moment, dans un marché improvisé en périphérie de Maputo, Asucena, vendeuse de tomates de 22 ans, déclare qu’elle ne veut que trois enfants. Toutes les femmes des stands voisins disent également ne vouloir que deux ou trois enfants.

Rosalina Amores, 30 ans, femme de ménage dans un hôtel 5 étoiles pour un salaire mensuel de 100 dollars, a étudié jusqu’au premier cycle de l’enseignement secondaire. Elle s’est mariée à 26 ans, est enceinte de son troisième enfant et pense s’en tenir là.

Sauter des repas pour subsister

Pourtant, les mozambicaines ont en moyenne six enfants, voire près de sept enfants si elles vivent en zone rurale. Dans de nombreux cas, les familles manquent de ressources pour nourrir leur progéniture.

Rosalina pense que son troisième enfant sera sans doute le dernier. Photo : Etienne Franca/UNFPA

Fatima, 38 ans, mère de six enfants, a toutes les peines du monde à subvenir à leurs besoins avec son salaire mensuel de 40 dollars qu’elle gagne en nettoyant une partie de la plage où elle habite à Ilha de Mozambique. Elle est mariée depuis 18 ans, mais son époux, comme de nombreux hommes de la communauté, n’a pas d’emploi. « Si nous petit-déjeunons, nous sautons le déjeuner. Si nous déjeunons, il est possible que nous ne dînions pas », déclare-t-elle.

Le kilo de poisson coûte moins de 3 dollars, mais c’est au-dessus de leurs moyens. Les bananes et le pain – 7 centimes chacun – sont les aliments les plus courants. « Le matin, avant d’aller travailler, nous buvons la plupart du temps de l’eau chaude sucrée. Les enfants mangent une bouillie de farine de maïs, quand nous en avons. »

Le taux de fécondité élevé constitue un « problème de santé publique »

Dans les zones rurales du pays, en particulier au nord, les femmes réalisent généralement toutes les tâches agricoles. Si une grossesse ou des problèmes de santé les empêchent de cultiver assez de fruits et légumes pour nourrir leur famille, leurs enfants risquent de souffrir de la faim ou de malnutrition, d’après le Dr Leonardo Chavane du ministère de la Santé du Mozambique.

Il ajoute qu’à l’échelle nationale, 44 % des enfants souffrent de malnutrition chronique.

Dans une province du nord, Cabo Delgado, où près d’une fille sur trois se marie avant l’âge de 15 ans et où seulement 3 % de la population féminine utilisent une méthode de contraception moderne, ce chiffre atteint 59 %.

Un enfant sous-alimenté, ajoute le Dr Chavane, court le risque de subir un retard de croissance physique ou cognitif qui compromet ses chances de mener une vie longue, saine et productive et de contribuer au cycle intergénérationnel de la pauvreté.

« Le taux de fécondité élevé est un problème de santé publique » explique-t-il, en particulier pour les femmes dont les grossesses sont espacées de moins de deux ans, ce qui les affaiblit et les rend vulnérables aux maladies. Les femmes enceintes, poursuit-il, n’ont parfois « pas le temps de prendre soin de leur santé ou de celle de leurs enfants ».

Fatima subvient aux besoins de sa famille en nettoyant la plage, mais a du mal à se procurer de la nourriture.
Photo : Etienne Franca/UNFPA

L’inégalité entre les sexes prive les femmes de leur pouvoir

Comment s’explique le décalage entre le nombre d’enfants que les femmes déclarent vouloir et pouvoir soutenir et le nombre d’enfants qu’elles ont réellement ?

D’après plusieurs experts en matière de population et de développement et organismes d’aide au Mozambique, plusieurs facteurs, dont le statut inférieur des femmes, qui réduisent leurs possibilités économiques et sociales sont en partie responsables. Le pays arrive en queue de classement en matière d’égalité des sexes (111e sur 169 d’après l’indice d’inégalité de genre 2010 du PNUD). « Les femmes ne participent pas au processus décisionnel », explique le démographe Carlos Arnaldo, en particulier en ce qui concerne le nombre d’enfants et la programmation des grossesses.

Les pressions exercées par les pairs et la famille laissent peu de marge aux femmes pour prendre en main leur santé reproductive.
Dans de nombreux endroits du Mozambique, si une femme obtient secrètement une méthode de contraception auprès d’une clinique de planification familiale et ne tombe pas enceinte, son partenaire ou mari – et sa propre famille, ses amis, voire les voisins – est susceptible de lui reprocher de ne pas avoir d’enfants, qui sont presque toujours considérés comme une source de richesse. Si un homme découvre que sa femme utilise un contraceptif, il peut la soumettre à des violences physiques. Il peut également décider de chercher une autre femme qui lui donnera des enfants. Une femme sur quatre vit en union polygame, une pratique culturelle acceptée dans certaines régions du pays.

Les mariages précoces influencent la dynamique du pouvoir et la fécondité

Sofia, mère de quatre enfants, se demande si elle veut un autre enfant. Photo : Benedicte Desrus, SIPA Press/UNFPA

Le mariage précoce est un autre facteur qui réduit le droit des femmes à être maîtresse de leur vie reproductive et entraîne souvent des grossesses précoces et nombreuses. Une étude menée par l’Institut mozambicain de la statistique révèle que plus de la moitié des femmes âgées de 20 à 49 ans déclarent s’être mariées avant leur dix-huitième anniversaire, et environ une sur cinq avant l’âge de 15 ans.

« À l’école, on conseille aux adolescentes d’attendre, mais les familles sont de l’avis contraire », explique Angela de Jesus, directrice provinciale de la jeunesse et des sports à Nampula.

« De nombreuses filles sont soumises aux rites d’initiation dès l’âge de 12 ou 13 ans et sont ensuite considérées prêtes pour le mariage, » ajoute-t-elle. « Il faut comprendre l’influence qu’exerce un membre de votre famille, que vous respectez et à qui vous êtes tenue d’obéir, qui vous parle de mariage et commence à parler de dot. Il est très difficile d’aller à l’encontre de ces pratiques culturelles. »

Un rapport de l’UNFPA et du Conseil de population datant de 2003 décrit les « conséquences démographiques » du mariage d’enfants, à savoir l’écart d’âge réduit entre les générations et la croissance démographique. « La jeunesse de la mariée et l’âge souvent plus avancé de son époux intensifient le déséquilibre des pouvoirs au sein de l’union », affirme le rapport.

« Son jeune âge est révélateur d’un niveau d’éducation relativement bas. Son manque de connaissances et de compétences la pousse à baser la sécurité du mariage et sa sécurité sociale à long terme sur un nombre élevé d’enfants et entrave souvent sa capacité à négocier les relations sexuelles », signale le rapport.

Les pratiques culturelles renforcent les inégalités

Dans les zones rurales, la dépendance de nombreuses femmes à l’égard des hommes n’est pas liée à une question de choix ou à une tradition ancienne mais à une pratique appelée « lobolo », qui permet à un homme d’offrir des cadeaux ou de l’argent au couple dont il souhaite épouser la fille.

Une fois que l’homme a payé pour avoir une épouse, il attend d’elle qu’elle lui donne des enfants qui pourront contribuer aux travaux agricoles ou aux tâches ménagères, explique Graça Samo, directrice exécutive du Forum Mulher, un groupe mozambicain de plaidoyer pour les droits des femmes. Si la femme n’enfante pas, elle peut être renvoyée auprès de sa famille, qui peut s’opposer à son retour car cela la contraindrait à rembourser le mari.

Mme Samo affirme que l’égalisation des chances entre les femmes et les hommes ne requiert pas seulement des interventions de l’État et d’organisations à but non lucratif, mais également des familles, qui ont une influence considérable sur la manière dont les filles – et les garçons – se perçoivent eux-mêmes et réciproquement au sein de la société. Si la socialisation des filles est importante pour que celles-ci prennent conscience de leurs forces et de leurs possibilités, elle considère qu’il est tout aussi important de modifier la socialisation des garçons de sorte qu’ils comprennent dès leur plus jeune âge que l’égalité des sexes profite à tout le monde.

Le mariage précoce est associé au manque d’éducation et à un taux de fécondité élevé

Les femmes mozambicaines ont en moyenne six enfants. Photo : Etienne Franca/UNFPA

Au Mozambique, comme dans de nombreux autres pays, le mariage précoce est associé à un taux de fécondité élevé et est plus fréquent chez les filles peu ou pas éduquées. Le gouvernement a fixé à 16 ans l’âge minimum du mariage et depuis l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi sur la famille en 2004, un enfant ne peut se marier avant ses 18 ans sans le consentement de ses parents. Mais force est de constater que la loi est difficile à mettre en œuvre, en particulier dans les zones isolées.

« Je voulais aller à l’école, apprendre à lire et à écrire, laisser s’écouler les années et faire de mon mariage un jour mémorable », déclare Sofia, 22 ans, originaire de Mossuril, au nord du pays. Mais « il y a quelques années, » sa famille a décrété qu’il était temps de fonder une famille. Elle a aujourd’hui quatre enfants – trois garçons et une fille – issus de plusieurs mariages. Sans éducation, Sofia survit grâce à ce qu’elle cultive dans sa machamba, un lopin de terre situé non loin de sa hutte.

Elle aime assister aux conférences organisées par l’UNFPA dans son village ; elle y apprend comment espacer les grossesses et éviter les infections. « Maintenant que tout le monde y assiste, j’essaie [de ne plus avoir d’enfants] », déclare-t-elle.

L’éducation est la clé de l’autonomisation

Il semble évident que les femmes mozambicaines auraient moins d’enfants si elles pouvaient prendre ou influencer les décisions concernant leur vie. L’éducation joue à cet égard un rôle crucial, signale Samuel Mills, spécialiste principal de la santé à la Banque mondiale, à Washington D.C. L’utilisation de méthodes contraceptives est généralement plus répandue parmi les femmes ayant un niveau d’instruction plus élevé.

Au Mozambique, seulement une femme sans éducation formelle sur dix a recours aux contraceptifs ; elles sont près de quatre sur dix chez celles qui ont achevé au moins le cycle d’enseignement secondaire. D’après le profil sur la santé reproductive au Mozambique, élaboré par la Banque mondiale en avril 2014, les niveaux d’instruction plus élevés vont également de pair avec de meilleurs résultats en matière de santé reproductive, à savoir une meilleure santé pour les mères et leurs bébés.

Le taux de fécondité dans la capitale, où les femmes sont généralement plus éduquées et ont un meilleur accès aux méthodes de contraception, est de trois enfants par femme, soit environ la moitié de la moyenne nationale.

Moins de la moitié des filles accèdent à l’enseignement secondaire

Cremilda a obtenu une bourse pour étudier en Tanzanie. Photo : Etienne Franca/UNFPA

Le gouvernement a fait un grand pas en avant en assurant au moins l’enseignement primaire des filles. Il prend désormais des mesures pour accroître les inscriptions de filles dans le secondaire, d’après Eurico Banze, directeur national des programmes spéciaux du ministère de l’Éducation.

Il n’en reste pas moins qu’à l’échelle nationale, moins de la moitié des filles terminent la cinquième ; elles sont nombreuses à tomber enceintes et à abandonner leurs études. « Les filles qui poursuivent leur scolarisation au-delà de la quatrième », ajoute Banze « ont plus de chances de retarder leur première grossesse. » Si elles atteignent la seconde ou la première, elles sont plus susceptibles de comprendre le rôle potentiel qu’elles peuvent jouer au sein de la société et de réfléchir à leur future carrière. Elles accèdent alors à un éventail plus vaste de choix et de possibilités.

Cremilda Hilario, 20 ans, s’estime heureuse. Elle étudie les relations internationales à Dar es Salaam, en Tanzanie, grâce à une bourse du gouvernement mozambicain. Pour l’instant, l’idée de se marier ne lui vient même pas à l’esprit.

« Toutes les filles n’ont pas ma chance. Il me reste deux années d’étude. Ensuite, je reviendrai à Maputo. Je veux faire beaucoup de choses. »

Les familles nombreuses synonymes de protection sociale

Il est particulièrement difficile de briser le cycle reliant la fécondité, la pauvreté, les problèmes de santé et le manque d’éducation dans les zones rurales. Les familles nombreuses sont plus difficiles à soutenir, mais elles représentent une forme de protection sociale dans un pays affichant un taux élevé de mortalité infantile et disposant de rares dispositifs de protection sociale.

« Les enfants représentent un capital familial », explique Mme Samo. « Il est courant de considérer le fait d’avoir des enfants comme un moyen de gagner du pouvoir. »

On peut comprendre que les enfants soient considérés comme une richesse dans un pays pauvre où les membres de la famille participent aux travaux ménagers. Mais à l’échelle nationale, on constate qu’en dépit de son économie à croissance rapide – en moyenne 8 % par an entre 1996 et 2008 –, le Mozambique n’est pas assez solide pour compenser complètement la forte croissance démographique et qu’il n’a pas fait reculer la pauvreté.

Le Dr Chavane précise que l’intention du gouvernement n’est pas de décourager quiconque d’avoir une famille nombreuse, mais d’appeler au désir universel d’avoir des enfants et des mères en bonne santé, et d’encourager les couples à retarder la première grossesse et à espacer les grossesses d’au moins deux ans. Il ajoute que le gouvernement a lancé une campagne démontrant comment l’espacement des naissances se traduit par une meilleure santé – et une meilleure productivité économique – des familles.

« Ma mère a eu six enfants, » dit Sofia Ibraim. « Peut-être en aurais-je encore un autre, » ajoute-t-elle en regardant Basili, deux ans, le plus jeune de ses quatre enfants. « Ou peut-être pas. »

— Richard Kollodge et Etienne Franca

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